- MAQUILLAGE (théâtre)
- MAQUILLAGE (théâtre)MAQUILLAGE, théâtreÀ l’origine un geste immémorial qui a valeur de parabole: l’application d’une matière fluide d’origine minérale, végétale, animale ou humaine sur la peau coïncidant avec l’émergence des premiers rites funéraires. Dans les cultes dionysiaques, les fidèles s’enduisaient le visage de farine ou d’argile blanche, le blanc symbolisant la blancheur des os du cadavre. D’autres s’oignaient de lie de vin à l’imitation de Dionysos, le «Barbouillé». Ces associations mettaient en relation les mondes inférieur et supérieur pour s’en rendre maîtres et les conjurer dans le même temps. Si le fard disparaît dans le théâtre antique au profit du masque, il se répand dans le monde profane, et les femmes de l’Antiquité préparent elles-mêmes les mixtures dont elles vont se parer: la céruse (oxyde de plomb), l’antimoine (kôhl), le cinabre, etc.Parallèlement au développement de ces pratiques qui, des bas-fonds de la vénalité émigrent vers la bonne société, commence à se formuler un contre-discours critique tirant ses interdits des dangers physiologiques et moraux du fard. Discours systématisé dans les premiers siècles de l’ère chrétienne par les Pères de l’Église pour lesquels seuls sont autorisés les fards de la pudeur et de la chasteté. Leurs prêches traverseront les siècles jusqu’au développement, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, de l’industrie cosmétique.Réintroduits par les croisés, les fards se répandent à nouveau vers les XIe-XIIe siècles, et font l’objet de recettes transmises oralement par les femmes, les marchands d’élixirs ou plus tard les transcriptions dans des recueils de secrets. Paradoxalement, eu égard au nombre important de ces recueils, on trouve peu de traces des fards dans les documents relatifs aux mystères médiévaux. Les quelques femmes qui y participèrent durent être conformes au modèle de la beauté du XIIe-XVe siècle, que la représentation picturale des madones fixe à jamais: cheveux blonds frisés bordant haut un front épilé, teint blanc élargi aux mains et aux pieds, cils absents, joues vermeillettes, lèvres incarnates, yeux en amande brillant de jus de citron. Quant aux diables, ils se barbouillaient de noir de fumée le corps entier.L’arrivée des Italiens en France et la récession de l’hygiène inaugurent une phase de baroquisme sans précédent. La scène à l’italienne et l’éclairage à la chandelle exigent des visages cérusés ou enfarinés aux joues rouges qui ont pour mission de signifier le type auquel le personnage appartient (ingénue, amoureux...) et de souligner les mouvements d’yeux et de bouche, les faces burlesques des farceurs ou celles mélancoliques des tragédiens. Le maquillage — le substantif apparaît au XVIe siècle mais conserve jusqu’au XIXe un sens argotique, celui de tricher —, fréquemment réalisé à vue dans les coulisses et permettant entre les comédiennes et leurs admirateurs un badinage amoureux (cf. Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier), s’orne aussi de mouches assassines aux noms symboliques, de lis et de roses (cf. Armande Béjart dans les comédies-ballets de Molière).La fin du XVIIIe siècle marque l’abandon de la perruque enfarinée et de la céruse au profit d’une simplicité naturelle et larmoyante. Mais l’esthétique romantique met en vogue une cosmétique de la pathologie frénétique: visages chlorotiques et phtisiques verdâtres ou bleutés, lèvres violettes, cheveux dressés sur la tête, veines du corps soulignées au crayon bleu. Cet air «artiste » se répand puis se fige dans le théâtre naturaliste, tandis que l’apparition des premiers fards spécifiquement conçus pour le spectacle permet des variations formelles et chromatiques en relation avec les types socio-psychologiques du mélodrame et du vaudeville.Si la rue se maquille encore légèrement, la double influence de la technologie et des arts plastiques va au XXe siècle multiplier les types et les styles. Aux visages blafards et violets des spectacles expressionnistes répondent les yeux charbonneux des femmes des Années folles. Le spectacle ne cesse d’influencer la rue et réciproquement. Sur les scènes, les visages gris des acteurs de Brecht précèdent les visages inspirés par les symboliques orientales du théâtre du Soleil. Les produits permettent désormais des variations chromatiques infinies. Le maquillage ne se contente plus de renseigner, il métamorphose la personnalité, il devient une «valeur ajoutée» au visage et affirme en outre des rapports de pouvoir, d’identité, de relations réelles ou imaginaires au corps (ainsi dans l’antimaquillage ou maquillage punk). Ce faisant, il élabore un langage symbolique des corps et des visages que précise et enrichit l’apparition, dans les années soixante-dix, de la peinture faciale et corporelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.